Partie 1 Chiragan

Une villa hors du commun

Piédouche
Piédouche

Vue aérienne de Martres-Tolosane

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Légende

Évolution de l’architecture de la villa (d’après le plan de Léon Joulin)

  • 1er état : Époque d’Auguste (?)
  • 2e état : Fin Ie – début IIe siècle (?)
  • 3e état : Deuxième moitié du IIe siècle (?)
  • 4e état : IIIe – IVe siècle (?)

Lieux de la villa

  • Portique
  • Grande esplanade avec fontaine
  • « Cour-jardin » et salles de réception
  • Appartements d’été (?)
  • Péristyle (40 m. de côté)
  • Salle monumentale (25 m. de longueur)
  • Ensemble thermal
  • Belvédère
  • Locaux artisanaux et agricoles
  • Temple (?)

lieu-sculpture Lieux de découverte des sculptures

Le nom de Chiragan, lieu-dit situé aux portes de la ville de Martres-Tolosane, à soixante kilomètres au sud-ouest de Toulouse, est aujourd’hui internationalement connu par tous les amateurs d’archéologie romaine et de sculpture antique en particulier. De ce site provient en effet le plus impressionnant rassemblement, jamais découvert en France, de portraits, figures mythologiques en ronde-bosse et reliefs de très grande qualité, taillés dans des marbres divers, majoritairement d’Asie Mineure et des Pyrénées. Ces productions ne peuvent en aucun cas être imputées à des sculpteurs issus d’un contexte provincial. Elles sont au contraire les produits d’officines qui, si diverses soient-elles, entretinrent toujours un lien direct avec la commande aristocratique et probablement au-delà, jusqu’aux hautes sphères du pouvoir. Ainsi, nombre d’œuvres du Haut-Empire furent-elles directement importées depuis Rome. On distingue également une production statuaire de petit et moyen format, inscrite dans un courant esthétique privilégié durant l’Antiquité tardive. À cette série, s’ajoute un décor figuré et des éléments architecturaux, hors du commun en Gaule, spécialement créés sur place par des sculpteurs rompus aux techniques de la grande statuaire en marbre.

Probablement rehaussées de couleurs éclatantes, dont il ne reste rien, les sculptures furent mises en place dans des niches, sur des piédestaux, au cœur des parterres et des cours, le long des portiques et dans les thermes d’un complexe architectural dont seul le plan est aujourd’hui connu. C’est bien celui d’une villa, une résidence rurale, associant d’un point de vue structurel et planimétrique, une partie résidentielle (pars urbana) à de nombreux locaux dédiés aux activités agricoles et artisanales (pars rustica) Columelle, De l’agriculture, 1st century, I, VI.. Cependant, sa configuration connaît une telle dilatation, que la résidence rurale canonique cède assurément le pas à une autre catégorie d’implantation. En effet, le domaine, qui resta actif du début à la fin de l’Empire romain d’Occident, prit, à partir d’une certaine époque, des allures de palais aux dimensions exceptionnelles dans le contexte de la Gaule et des provinces occidentales.

Le cadre

À l’époque antique, le territoire sur lequel est implantée la villa correspond à l’extrémité occidentale de la province de Narbonnaise, aux portes de l’Aquitaine L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 3-5.. En aval de la cluse de Boussens et de la confluence du Salat et de la Garonne, le lieu est situé sur une terrasse alluviale, en rive gauche du fleuve, et dominé par les chaînons des pré-Pyrénées.

Le corridor garonnais y a longtemps représenté un axe de pénétration important, depuis la plaine toulousaine vers le massif pyrénéen, tout autant qu’une voie de communication majeure entre montagne et plaine et, ainsi, vers l’important centre économique et point de rupture de charge que représentait la cité gauloise, puis romaine de Tolosa. Le fleuve devenait flottable, pour les radeaux, en amont même des carrières de marbre de Saint-Béat, malgré toutes les difficultés et dangers rencontrés, sans aucun doute, par les bateliers. Il devenait ensuite parfaitement navigable en amont de Martres-Tolosane, à Roquefort-sur-Garonne et, en particulier, à partir de Boussens J.-M. Minovez, « Grandeur et décadence de la navigation fluviale : l’exemple du bassin supérieur de la Garonne du milieu du XVIIe au milieu du XIXe siècle », Histoire, économie et société, 18e année, 3, 1999, p. 569‑592, en partic. p. 125.. Outre les marbres de Saint-Béat, les besoins en bois et l’exploitation forestière des vallées de la Neste, du Salat ou de la Barousse rendaient sans doute nécessaires les nombreux petits ports qui devaient s’égrener le long du fleuve. Ainsi les appontements de la villa de Chiragan devaient-ils prendre toute leur importance, en raison de l’activité débordante, inhérente à un tel domaine.

Au grand couloir fluvial s’ajoutait la voie romaine qui traversait le territoire et passait au nord de l’enceinte. Cet axe important, probablement connecté au grand complexe au moyen d’un embranchement, reliait Tolosa à Lugdunum Convenarum (Saint-Bertrand-de-Comminges) et, au-delà, à la Civitas Aquensium (Dax) R. Sablayrolles, « De Pyrenaeis iugis : les voies des Convènes », Pallas, 82, 2010, p. 199‑221, en partic. p. 202-203.. Il faut enfin rappeler que la villa, probablement au cœur des échanges économiques et de la circulation des biens, était en relation étroite avec un certain nombre d’agglomérations secondaires qui devaient constituer autant de marchés et de lieux de rencontre et formaient un maillage important dans le cadre agricole et commercial de l’époque.

La découverte, les fouilles

Au Moyen Âge et à la Renaissance, la villa de Chiragan servit, de manière régulière, de carrière et de lieu d’approvisionnement en briques, calcaires et marbres, à l’image de tous les grands ensembles monumentaux antiques dont les matériaux furent abondamment remployés. À la fin du XVIIe siècle, le chanoine Lebret rapporte qu’au début de ce même siècle avaient été découvertes plusieurs sculptures en marbre dont sept masques et une tête féminine, immédiatement destinés à enrichir l’orangerie du palais de l’évêque de Rieux, situé à une vingtaine de kilomètres A. Du Mège, Description du musée des Antiques de Toulouse, Toulouse, 1835, p. 62.. Ainsi en fut-il pour d’autres œuvres, issues du site antique, qui abreuvèrent les collections aristocratiques de quelques grands protagonistes de la vie religieuse et politique régionale. Loin de se tarir, les découvertes ponctuelles se poursuivirent, de toute évidence, durant le XVIIIe siècle.

Mais c’est en 1826 que l’histoire officielle de la découverte de Chiragan débute. Dans cette France de Charles X, l’étude des civilisations anciennes connaît un véritable engouement. Les récupérations d’œuvres antiques, sur des terrains avoisinant le village de Martres-Tolosane, ne pouvaient qu’interpeler le jeune « antiquaire » Alexandre Du Mège, membre de l’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse et auteur d’un ouvrage sur les « Antiquités des peuples celtiques » régionaux A. Du Mège, Monumens religieux des Volces-Tectosages, des Garumni et des Convenae, ou Fragmens de l’archaeologie pyrénéenne et recherches sur les antiquités du département de la Haute-Garonne, Toulouse, 1814, p. 230.. C’est en particulier un phénomène naturel qui vient alors prêter main-forte à l’archéologue : un orage, qui s’abat sur la plaine de Martres-Tolosane. Si les éléments semblent catastrophiques pour les récoltes, ils sont conjointement à l’origine de l’apparition de maçonneries et, bien plus impressionnant encore, de l’affleurement de nombreux marbres. En ce mois de mai 1826, les aléas météorologiques deviennent donc, de manière insolite, d’inopinés alliés aux amateurs d’antiques. Des antiques qui devenaient autant d’obstacles au sillage de la charrue de Bernard Saboulard, cultivateur du champ J.-C. Balty, D. Cazes, Les portraits romains, 1 : Époque julio-claudienne, 1.1 (Sculptures antiques de Chiragan (Martres-Tolosane), Toulouse, 2005, p. 31..

À cette époque, Alexandre Du Mège est inspecteur des Antiquités et secrétaire de la Direction du musée de Toulouse ; c’est à ce titre que le maire de Martres-Tolosane, Joseph de Roquemaurel, lui écrit au cœur de l’été, afin de l’informer des spectaculaires mises au jour qui ont lieu sur place et de l’urgence d’une fouille J.-C. Balty, D. Cazes, Les portraits romains, 1 : Époque julio-claudienne, 1.1 (Sculptures antiques de Chiragan (Martres-Tolosane), Toulouse, 2005, p. 30.. Du Mège entreprend donc des investigations, largement motivées par la découverte des marbres sculptés. Le succès est indéniable car le sous-sol se révèle plus que fertile, répondant, au-delà de toute espérance, à l’appétence, caractéristique de l’époque, pour l’art des Anciens ; une démarche archéologique bien entendu encore étrangère à la lecture du terrain et à l’analyse des contextes et de la stratigraphie. Quant aux proportions impressionnantes des bâtiments dont témoignent les fondations, elles persuadent l’Inspecteur des Antiquités qu’il exhume là une station routière d’époque romaine connue sous le nom de Calagurris. Si le lieu avait été mentionné à l’époque paléochrétienne par saint Jérôme, dans sa diatribe contre l’hérésiarque Vigilantius, qui y serait né W.S. Gilly, Vigilantius and His Times, London, 1844, p. 125 ; Jérôme de Stridon, Contre Vigilance, 5th century., c’est le village de Saint-Martory, situé à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Chiragan, qui est aujourd’hui reconnu comme l’antique Calagurris ou Calagorris. Par ailleurs, une fois révélés les grands reliefs consacrés au cycle des Travaux d’Hercule, l’« antiquaire » est convaincu de la présence d’un temple qui, au cœur de la petite agglomération qu’il pense identifier, aurait été consacré au héros. On peut alors lire dans la presse locale du mois d’août 1826 le compte rendu suivant :

« Cet archéologue [Du Mège] vient de visiter les ruines de Calagurris, et ses soins ont arraché à l’oubli une foule d’objets précieux parmi lesquels on compte des statues presque de grandeur naturelle et en marbre blanc, de Sérapis et d’Hercule, des frises de la plus grande beauté, des bustes d’empereurs et d’impératrices d’une proportion colossale, etc. M. Du Mège a fait l’acquisition de tous ces restes précieux qui seront sans doute transportés bientôt à Toulouse, pour être placés ensuite dans la galerie d’antiquités, créée par ce savant… On assure que M. Du Mège fait continuer les fouilles, et l’on doit espérer que, dirigées par lui, sur le vaste espace qui offre des traces de temples et d’anciennes habitations, elles produiront d’importantes découvertes. » Journal politique et littéraire), « Toulouse, le 31 août 1826 », Journal politique et littéraire de Toulouse et de la Haute-Garonne, 1826, p. 3. J.-C. Balty, D. Cazes, Les portraits romains, 1 : Époque julio-claudienne, 1.1 (Sculptures antiques de Chiragan (Martres-Tolosane), Toulouse, 2005, p. 32.. Et le découvreur de s’écrier, avec fierté et emphase : « j’ai recueilli une partie des marques de son antique splendeur, et, en contemplant les lieux où elle fut ensevelie, j’ai pu m’écrier avec Lucien : « Les villes meurent comme les hommes ! » Journal politique et littéraire, « Antiquités de Calagurris des Convènes », Journal politique et littéraire de Toulouse et de la Haute-Garonne, 1826, p. 3‑4.. Il est facile de s’imaginer combien l’émotion de l’archéologue dut atteindre une sorte d’acmé lors de la mise au jour, entre la fin du mois de septembre et le début du mois de décembre 1826, de la plus grande quantité de fragments, portraits et éléments architectoniques que ces fouilles auront permis de découvrir J.-C. Balty, D. Cazes, Les portraits romains, 1 : Époque julio-claudienne, 1.1 (Sculptures antiques de Chiragan (Martres-Tolosane), Toulouse, 2005, p. 41..

Le comte de Montbel, maire de Toulouse, est dès lors vivement sollicité par l’Académie royale des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, elle-même informée par Du Mège de la qualité et de la quantité des marbres découverts à Martres-Tolosane. Ainsi la capitale régionale engage-t-elle d’importants crédits, versés au propriétaire du terrain, Gabriel Saboulard, afin de débuter la collecte des sculptures J.-C. Balty, D. Cazes, Les portraits romains, 1 : Époque julio-claudienne, 1.1 (Sculptures antiques de Chiragan (Martres-Tolosane), Toulouse, 2005, p. 31.. Ce financement de la municipalité toulousaine sera poursuivi sous le mandat suivant, celui du marquis de Rességuier A. Aldéguier d’, « Éloge de M. A. Du Mège, fondateur et secrétaire général de la Société archéologique du Midi de la France », Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, VIII, 1863, en partic. p. 263-264.. Du Mège peut alors poursuivre sa campagne de récupération des antiques de Martres, jusqu’à la révolution de juillet 1830.

Si l’on ne peut oublier que son nom sera entaché par quelques affaires compromettantes, l’archéologue n’ayant pas hésité, durant sa longue carrière, à tromper son entourage en concevant de faux antiques, on ne peut pourtant qu’estimer l’action et le dynamisme de l’homme dans le cadre de ce chantier martrais. Un doute cependant s’impose quant à l’authenticité d’une inscription fragmentaire G.-J. Andrieu, Bibliographie générale de l’Agenais et des parties du Condomois et du Bazadais incorporées dans le département de Lot-et-Garonne, Paris-Agen, 1886, p. 170-172 ; H. Delpont, Maximilien-Théodore Chrétin et l’Empire de Tétricus, Narrosse, 2006., une découverte attribuée à l’Inspecteur des antiques, qui mentionne que les habitants de Calagurris souhaitent une bonne santé à l’empereur J. Massendari, La Haute-Garonne : hormis le Comminges et Toulouse 31/1 (Carte archéologique de la Gaule), Paris, 2006, p. 236.. Il en est de même pour un étrange vase en céramique, mentionné par Du Mège dès 1814 A. Du Mège, Monumens religieux des Volces-Tectosages, des Garumni et des Convenae, ou Fragmens de l’archaeologie pyrénéenne et recherches sur les antiquités du département de la Haute-Garonne, Toulouse, 1814, p. 230.. On entreverra davantage dans l’épigraphe la malice de l’antiquaire qui tentait de conforter sa théorie selon laquelle le site de Chiragan correspondrait à l’agglomération antique, aujourd’hui associée, comme nous l’avons dit, au village de Saint-Martory. Quoi qu’il en soit, et si l’érudit se méprend donc quant à l’interprétation de l’impressionnant ensemble architectural, le site découvert n’en demeure pas moins exceptionnel.

Outre de nouvelles découvertes fortuites, mentionnées durant la seconde moitié du siècle, plusieurs autres campagnes de fouilles officielles furent par la suite programmées : de 1840 à 1848, à l’initiative de la Société archéologique du Midi de la France, ou encore Fouilles archéologiques d’Albert Lebègue de la _Villa_ romaine de Chiragan à Martres-Tolosane (Haute-Garonne) en 1890-1891, photo Félix Régnault Domaine Publicen 1890 et 1891, sous la direction du professeur Albert Lebègue. C’est enfin Léon Joulin, au crépuscule du siècle, qui entreprend une cinquième, et ultime, grande campagne. Scientifique, polytechnicien, ce passionné d’archéologie identifie alors le site comme une seule et même résidence. Bien plus, il élargit avec pertinence son étude d’un point de vue géographique à travers un projet qui lui permet d’intégrer pas moins de cinq autres établissements, deux vici et trois villae. Toutes ces implantations sont situées sur un territoire correspondant au rayon d’un demi-cercle qui n’excède pas huit kilomètres à partir du domaine auquel ils furent probablement liés, sinon assujettis. À l’origine d’un travail minutieux et d’une analyse scrupuleuse de toute la documentation archéologique, méticuleusement consignée dans ses carnets, dont il disposait au fur et à mesure de ses fouilles, Léon Joulin décida d’en publier les résultats. Son ouvrage, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, demeure encore aujourd’hui une référence scientifique unique pour comprendre les vestiges de la villa. Bien plus que la quête exclusive d’œuvres en marbre, qui avait polarisé l’esprit d’Alexandre Du Mège et à nouveau celui d’Albert Lebègue, effectivement à l’origine de spectaculaires découvertes, Léon Joulin s’attache prioritairement à comprendre structures et planimétrie des bâtiments qui composent l’ensemble d’un site dont il tente également d’appréhender les limites physiques, ainsi que la topographie. Preuve de sa compétence, le plan dont il exécute le relevé a été confirmé par des prospections géophysiques et quelques sondages récents Direction régionale des Affaires culturelles (Midi-Pyrénées), Bilan scientifique de la région Midi-Pyrénées : 2001, Paris, 2005, p. 74..

Une villa d’exception

La villa fouillée et étudiée par Léon Joulin L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 23-49. se déployait sur environ seize hectares, circonscrits par un enclos matérialisé par des murs. Elle comportait une partie résidentielle (pars urbana) et une partie dévolue aux activités agricoles (pars rustica), selon un modèle canonique mais singularisé en ce lieu par une amplification hors norme. À ce dernier point, s’ajoute l’impressionnante série de portraits d’anonymes, interprétés comme des membres de l’ordre équestre, un rang qui représentait, avec l’ordre sénatorial, l’un des deux groupes aristocratiques dominants. Ces caractéristiques ont autorisé L. Joulin à entrevoir dans cet ensemble une propriété dirigée, « à l’origine du moins », par des procurateurs, responsables du domaine impérial régional ou bien par un sénateur, administrateur de la province de Narbonnaise. Il faut aujourd’hui souligner, à la suite d’un certain nombre de travaux récents, la présence et l’importance de l’élite, en particulier les magistrats municipaux, dans ce contexte rural romain que représentaient les territoires des cités P.-A. Février, « Villes et campagnes des Gaules sous l’Empire », Ktema, 6, 1981, p. 359‑372, en partic. p. 362-363..

Pars rustica

Durant l’Antiquité romaine, cet environnement rural et l’agriculture qui y était pratiquée firent l’objet de plusieurs traités, demeurés célèbres. Ils permettent de mieux concevoir la nature même de ce que l’on nomme villa. Ainsi Caton Caton, De l’agriculture, 2nd century, IV, 4., au IIe siècle avant n. è., Varron Varron, La Langue latine, 2nd – 1st century BC, VI, 35 ; Columelle, De l’agriculture, 1st century, I, 13., au siècle suivant, Columelle Columelle, De l’agriculture, 1st century, 1, VI, 1. et Pline l’Ancien Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 77 (circa), XVIII, 7., au Ier siècle de n. è., ou plus tardivement, Palladius et son calendrier des activités fermières et agricoles Palladius, Traité d’agriculture, 5th century, I, 8., au Ve siècle, décrivent ce type d’implantation ou font allusion à ces établissements en tant que lieux dévolus à l’exploitation rationnelle des cultures et de l’élevage, pouvant faire commerce de leurs productions M.-P. Zannier, Paysages du grand domaine et normes agronomiques de Caton à Pline l’Ancien : représentations de l’espace et « bonne mesure », Doctoral thesis, soutenue à l’Université du Mans, 2007, p. 91-96.. Car la villa régit un domaine, plus ou moins important : le fundus L. Capogrossi Colognesi, « Dalla villa al saltus  : continuità e transformazioni », Centre national de la recherche scientifique (éd.), Du latifundium au latifondo : un héritage de Rome, une création médiévale ou moderne ? International round table of the CNRS [French National Centre for Scientific Research], Université Michel de Montaigne, Bordeaux III, 17-19 December 1992, Paris, 1995, p. 191-211.. Un cours d’eau et une route, de préférence très fréquentée, formaient d’autre part un environnement déjà préconisé, en Italie, à l’époque républicaine, notamment par Varron Varron, La Langue latine, 2nd – 1st century BC, 11 et I, 16..

À Chiragan, l’espace dévolu aux locaux de conservation des denrées, de stockage et de vie du personnel, entre dans la catégorie dite « à pavillons multiples alignés » A. Ferdière et al., « Les grandes villae « à pavillons multiples alignés » dans les provinces des Gaules et des Germanies : répartition, origine et fonctions », Revue archéologique de l’Est, 59-2, 182, Fasc. 2, 2010, p. 357‑446, en partic. p. 384.. On recense cependant dans ce secteur, consacré au labeur, un si grand nombre de structures, déployées sur une telle surface, que la villa s’affranchit, encore une fois, de toute comparaison. En effet, ce ne sont pas moins de trois lignes de bâtiments, parfaitement parallèles, qui suivent l’axe est-ouest des murs d’enceinte nord et sud. Une quatrième batterie de pavillons, proche de la Garonne, adopte une direction déjetée en comparaison des précédentes, prolongeant le second mur méridional et formant un angle de trente degrés par rapport à l’axe de son prédécesseur, lui-même probablement détruit par les crues. De grands bâtiments, originellement alignés contre le mur d’enceinte oriental, pouvaient faire fonction ici, entre autres, de grands entrepôts. Cette organisation témoigne de la rationalisation des activités de production. Mais un certain nombre de ces locaux, construits en bois et torchis selon toute vraisemblance, auraient également pu servir de lieux d’habitat à une population de travailleurs dont le statut, libre ou servile, demeure impossible à connaître. À la fonction agricole s’ajoute, dans les grands domaines, une fréquente production artisanale, marquée par la présence d’ateliers (figlinae), ces deux domaines d’activité pouvant être légitimement liés. Selon Léon Joulin, dernier fouilleur de la villa et, nous l’avons déjà souligné, auteur rigoureux de son plan et de sa description, si ces locaux devaient être construits en matériaux périssables durant le Haut-Empire, ceux du dernier état sont caractérisés par une plus grande ampleur et des élévations maçonnées.

S’appuyant sur les écrits de Caton, et du postulat de l’auteur selon lequel neuf personnes étaient recommandées pour vingt-cinq hectares de cultures, ainsi que des estimations de Léon Joulin, qui supposait que quatre cents personnes (une centaine de familles) auraient pu loger dans les constructions de la pars rustica de Chiragan, Albert Grenier avance, mais avec prudence, que le domaine exploité (fundus) aurait pu atteindre mille hectares A. Grenier, Manuel d’archéologie gallo-romaine, 6 : L’archéologie du sol, 2, Paris, 1934, p. 889.. Il paraît légitime de considérer que la couronne que constituaient villae et agglomérations rurales (vici) étudiées par Léon Joulin dépendait probablement de la grande demeure et participait pleinement à son activité. Cette organisation, reposant sur un tel réseau économique, élaboré dans un rayon proche, soutient la fonction même de la villa romaine : optimiser les rendements et, corollairement, les profits du dominus P. Leveau, « Introduction : les incertitudes du terme villa et la question du vicus en Gaule Narbonnaise », Revue archéologique de Narbonnaise, 35, 1, 2002, p. 5‑26..

Pars urbana

Si le revenu (fructus) y est essentiel et dépend étroitement de la pars rustica, le plaisir (delectatio et otium), intellectuel et physique, y demeure également important et relève de l’espace résidentiel P. Ouzoulias, « Les campagnes gallo-romaines : quelle place pour la villa ? », Comment les Gaules devinrent romaines, Paris, 2010, p. 189‑211, p. 190.. À la fonction de production, la villa romaine ajoute donc, on le sait bien, depuis la première moitié du IIe siècle avant n. è., une fonction de résidence privilégiée, un lieu de luxe, où opulence et culture pouvaient être exprimées au moyen d’une architecture remarquable, complétée de peintures, mosaïques et sculptures ; un décor chatoyant plus ou moins régulièrement renouvelé. Ainsi la richesse de la domus urbaine, caractérisée par la présence de cours intérieures (atrium et péristyle) distribuant les différents espaces, était-elle transposée à la campagne. En raison, précisément, de cette extension inédite, peut-être faut-il nuancer l’attribution stricte de fonction résidentielle qui fut attribuée à la partie centrale de l’ensemble et ne pas faire de Chiragan un lieu qui obéirait de manière aussi conventionnelle aux écrits théoriques agricoles de l’Antiquité dont les spécificités ne peuvent s’appliquer aussi catégoriquement dans ce contexte. Il apparaît néanmoins que les vestiges révélés par les campagnes de fouilles du XIXe siècle correspondaient en grande partie à ceux d’une luxueuse résidence dont les séparations de fonctions, privée et publique, resteraient à définir.

La pars urbana, partie résidentielle de la villa, est en effet considérable, comme en témoigne le plan d’ensemble. Prenant possession, de manière originale, de l’angle sud-ouest de l’enclos, elle s’étend sur près de 20 000 m², plus du double de la superficie de la villa de Valentine, qui est elle-même la deuxième plus grande demeure rurale dans le Sud-Ouest des Gaules (8 400 m²). Une cour à péristyle, de trente mètres de côté, mais également des bains, semblent appartenir au premier état de la pars urbana, daté du Ier siècle. L’ensemble sera considérablement agrandi, peut-être à partir de la fin de ce même siècle et durant le suivant mais surtout durant l’Antiquité tardive. De grands thermes sont ajoutés ainsi qu’un nouvel ensemble, au sud, comprenant une vaste esplanade qui devait faire fonction de belvédère dominant le fleuve C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine : société et culture de l’Antiquité tardive dans le Sud-Ouest de la Gaule (Mémoires 5 – Aquitania, suppl. 10), Bordeaux-Paris, 2001, p. 101..

La galerie

À partir du mur arrière du bloc comportant les grands thermes, court, en direction du nord, une impressionnante galerie dont la longueur aurait atteint cent soixante-dix mètres L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 23.. Elle se conclut par une salle rectangulaire, qui se développe longitudinalement sur plus de treize mètres et fait saillie vers l’est. Ainsi toute la partie orientale était-elle puissamment structurée par cet impressionnant portique qui, telle une épine dorsale, prolonge une enfilade de pièces situées au cœur de la partie privée de la résidence. Par sa situation dans l’espace, au niveau du tiers occidental de l’enclos, le grand espace longitudinal agit donc comme une véritable ligne de force. À sa droite, se développent, du sud au nord, la grande cour, ouverte vers l’est, longue de soixante-cinq mètres, et les deux rangées, parfaitement parallèles, des locaux agricoles et industriels septentrionaux L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 37-39..

D. Cazes émit l’hypothèse que le portique, d’une longueur de quarante-cinq mètres et large de onze mètres, qui ferme la cour sur son côté occidental, aurait pu constituer un lieu idoine pour l’installation des grands reliefs représentant les travaux d’Hercule D. Cazes et al., Le Musée Saint-Raymond : musée des Antiques de Toulouse, Toulouse-Paris, 1999, p. 85.. On peut, en effet, parfaitement en convenir, si l’on tient compte de la monumentalité de l’espace. Un autre espace, cependant, aurait pu faire fonction de lieu d’accueil des panneaux composant le cycle herculéen ; il s’agit de la salle à terminaison hémicirculaire, longue de vingt-quatre mètres, implantée dans l’axe de la galerie, dont elle était mitoyenne ; elle n’est pas sans évoquer, en ce qui concerne le Sud-Ouest des Gaules, les deux salles à absides opposées de la villa de Nérac (Lot-et-Garonne) C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine : société et culture de l’Antiquité tardive dans le Sud-Ouest de la Gaule (Mémoires 5 – Aquitania, suppl. 10), Bordeaux-Paris, 2001, p. 160, fig. b et p. 162..

Malgré toutes les incertitudes relatives aux élévations de  cette impressionnante composition, plan et ampleur des espaces renvoient à une conception digne d’un palais. L’immense surface dévolue à la cour, notamment, a permis d’interpréter ce secteur comme l’entrée d’honneur de la demeure C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine : société et culture de l’Antiquité tardive dans le Sud-Ouest de la Gaule (Mémoires 5 – Aquitania, suppl. 10), Bordeaux-Paris, 2001, p. 147.. Seule une grande fontaine en forme de T, plaquée de marbres, de huit mètres sur sept, témoignait de la probable sophistication de cette vaste esplanade qui se détachait sur un décor de hautes colonnes. Cette arrivée majestueuse de l’eau demeure le seul témoignage des aménagements hydriques de la résidence, par ailleurs intrinsèques à toute résidence de haut rang.

Le quartier occidental

L’ensemble situé au sud-ouest de la grande galerie abrite la grande cour de trente mètres de côté, mentionnée plus haut, comprenant, au nord, une pièce débordante à hypocauste. Ce péristyle aurait été reconstruit à l’emplacement d’un premier, plus modeste, d’époque augustéenne. L’aile orientale comporte le quartier des cuisines, comprenant une cour à bassin circulaire L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 70., et deux grands atria. Des appartements entourant le péristyle ont été extraits des fragments de mosaïques et des dallages de marbre.

Depuis ces quartiers, luxueusement décorés, comme en attestent les fragments de marbres qui auraient été mis au jour, un grand escalier, au sud, permettait de descendre vers une très grande terrasse, impressionnant remblai qui permit d’aplanir la déclivité originelle, ouvrant sur la Garonne et encadrée, à l’ouest et à l’est, par deux cryptoportiques L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 26.. C’est en contrebas des marches, donc du soubassement du bloc résidentiel, que fut découvert l’un des trois grands « trous de décombres », soit les fosses remplies de très nombreuses sculptures. Rassemblés en ce lieu à une époque indéterminée, les marbres furent probablement jetés depuis la terrasse supérieure et successivement dégagés lors des fouilles d’Alexandre Du Mège, en 1826, puis du professeur Albert Lebègue et du martrais Abel Ferré, en 1890. Dans l’axe de l’escalier précédemment cité, en parfaite symétrie, s’élevait, au sud de l’espace sans doute paysager de l’esplanade, une construction hexagonale, probable pavillon d’agrément qui dominait le fleuve et permettait un point de vue sur les collines environnantes. Quant au cryptoportique oriental, son extrémité méridionale, par conséquent du côté de la Garonne, a été bouleversée, à une époque postérieure - celle que Léon Joulin identifiait comme le troisième état L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 156. - par la mise en place d’une série de salles qui se développait sur cinquante mètres de longueur et dix mètres de largeur. En raison de leur situation dominante par rapport au fleuve et surtout à la présence d’une baignoire, Joulin y vit de probables bains d’été L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 30..

À l’ouest de la grande cour méridionale, s’élevait une série de pièces, bordées par un nouveau cryptoportique L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 28.. On y distingue, dans la partie centrale, une grande salle octogonale, entourée de pièces plus réduites, également à pans coupés. Ce groupe, proche de la rive du fleuve, semble correspondre à l’une des architectures parmi les plus complexes de la villa ; le raffinement de son plan, caractérisé par l’abattage des angles, associé à la multiplication des pavillons, n’est pas sans rappeler certaines formules sophistiquées de la villa d’Hadrien, à Tivoli, ou du palais, plus tardif, de Cercadilla, à Cordoue.

À l’opposé de cet ensemble, plus à l’est, de l’autre côté de la cour, il était possible d’emprunter un escalier qui, depuis le cryptoportique oriental, reliait un appartement, par conséquent implanté nettement plus bas que l’ensemble architectural précédent. Comprenant douze pièces, il se développait, sur une superficie d’environ 300 m², autour d’une cour, au sol de marbres polychromes, rafraîchie par un grand bassin, ce dernier couvrant l’entière largeur du cryptoportique. Atrium à grand impluvium, salles de service, vestiges de canalisations et deux bassins accolés à la façade sur jardin, à l’est, ont été ici reconnus par le fouilleur L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 30-32..

La partie orientale

Poursuivant le parcours vers l’est, à partir du bloc évoqué précédemment et dans le prolongement de sa cour centrale, nous accédons à une galerie composée de deux salles longitudinales menant à un nouvel et vaste atrium quadrangulaire, pavé de marbres L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 32.. Son entrée, apparemment majestueuse, se situait du côté de la Garonne. Suivait un espace, peut-être découvert, qui se développait sur trente mètres, soit une longueur équivalente à la grande cour de la partie nord-ouest du complexe résidentiel. La partie orientale de ce secteur, hypothétique cour-jardin, s’élargit considérablement, formant un hémicycle de vingt mètres de diamètre. Cette extension évoque la configuration de certaines salles, aux superficies tout aussi imposantes, mises en valeur lors des fouilles du palais de Galère à Gamzigrad L. Mulvin, Late Roman Villas in the Danube-Balkan Region (British Archaeological Reports), Oxford, 2002, p. 81-83. et de la villa de Mediana L. Mulvin, Late Roman Villas in the Danube-Balkan Region (British Archaeological Reports), Oxford, 2002, p. 92-93., tous deux en Moésie Supérieure (Serbie), de Desenzano del Garda (Brescia) C. Sfameni, Ville residenziali nell’Italia tardoantica (Munera), Bari, 2006, p. 161-164. et de la villa de Centocelle ad duas lauros, à Rome R. Volpe, « Le ville del suburbio di Roma », S. Ensoli, E. La Rocca (éd.), Aurea Roma : dalla città pagana alla città cristiana. Mostra, Palazzo delle esposizioni, Roma, 22 dicembre 2000-20 aprile 2001, Rome, 2000, p. 161‑167, p. 163-164.. On pensera, de même, à la somptueuse salle à abside de la villa de Montcaret (Dordogne) F. Berthault, « Montcaret », M. Provost (éd.), 24-La Dordogne (Carte archéologique de la Gaule), Paris, 1993, p. 159‑166, p. 159-166 ; C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine : société et culture de l’Antiquité tardive dans le Sud-Ouest de la Gaule (Mémoires 5 – Aquitania, suppl. 10), Bordeaux-Paris, 2001, p. 162 ; C. Landes, La villa gallo-romaine de Montcaret : Dordogne (Itinéraires du Patrimoine), Paris, 2017.. Ces résidences, dont les constructions furent datées entre la fin du IIIe et le premier tiers du IVe siècle, semblent entrer en résonance avec le goût pour la dilatation des espaces et la complexité des plans, typiques de l’Antiquité tardive, dont Chiragan, ou encore la villa de Montmaurin, toute proche, pourraient être de convaincants exemples pour le Sud-Ouest des Gaules. À Chiragan, au centre de la grande courbe, disposée sur l’axe central de l’espace, était greffée une rotonde, encadrée par deux petits espaces quadrangulaires, formant un plausible espace privilégié qui pourrait rappeler un nymphée. De part et d’autre de l’espace longitudinal de la « cour-jardin », avaient été aménagées des pièces supplémentaires. Les plus originales, situées au sud, disposées en croix, associaient des murs rectilignes et en quart de cercle, composant un plan sophistiqué qui n’est pas sans rappeler le groupe de pièces évoqué plus haut, situé en bordure de la Garonne, dans la partie occidentale du complexe. En l’occurrence, selon les descriptions de Léon Joulin, matériaux et techniques de construction de ces deux ensembles, géographiquement distincts au sein de la villa, dépendraient de la même période, ce qui conforte l’idée d’une impressionnante amplification de la demeure à une époque tardive.

Entre ce complexe, distingué par ses espaces ouverts, et le mur méridional du péristyle circonscrivant la grande cour plus au nord, se développaient les thermes L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 33-36 ; D. Krencker et al., Die Trierer Kaiserthermen (Trierer Grabungen und Forschungen), Augsburg, 1929, p. 250.. Il s’agit là du plus grand complexe balnéaire connu pour le Sud-Ouest des Gaules. Prenant en compte l’enfilade des pièces, considérées par Joulin comme des dépendances de ces bains, l’ensemble couvrait une superficie de 1360 m². C. Balmelle, excluant cependant ces nombreuses salles secondaires, en restreint donc la superficie à 760 m² C. Balmelle, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine : société et culture de l’Antiquité tardive dans le Sud-Ouest de la Gaule (Mémoires 5 – Aquitania, suppl. 10), Bordeaux-Paris, 2001, p. 179-181 ; R. Monturet, H. Rivière, Les thermes sud de la villa gallo-romaine de Séviac (Fouilles archéologiques de Séviac , 1 ; Aquitania , 2), Paris-Bordeaux, 1986, p. 64.. Ces annexes paraissent pourtant, sur le relevé de l’archéologue, entrer en cohérence avec la projection globale de l’ensemble. Il faut supposer que l’accès à ces thermes se trouvait du côté du noyau principal de la villa, à l’ouest. Depuis l’entrée, un premier espace correspondait à la salle d’eau froide (frigidarium). Dans la partie méridionale de cette dernière, un bassin absidé pouvait être chauffé depuis le sol, comme le prouve le système d’hypocauste qui y fut découvert (surélévation du sol au moyen de petites piles de briques). Symétriquement, du côté nord, une piscine de dix mètres de diamètre épouse la courbe formée par le mur. C’est par un déambulatoire, d’une largeur de deux mètres cinquante, compris dans cet espace hémicirculaire, que l’on accédait à l’eau moyennant trois marches. Un égout permettait la vidange depuis l’angle sud-ouest. Ce bassin aurait chronologiquement succédé à trois salles, dont deux en hémicycle L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 35.. Suivaient une étuve sèche (laconicum), associée à un four (praefurnium) et, enfin, une salle chaude (caldarium) agrémentée d’une niche, à l’est, qui accueillait une grande baignoire.

Durant une phase plus tardive, de nouveaux thermes sont édifiés, à l’est des précédents (le troisième état de Léon Joulin, qui correspondrait au dernier tiers du IIe siècle) A. Bouet, « Thermes et communs d’une maison suburbaine : l’exemple de La Brunette à Orange (Vaucluse) », Bulletin Archéologique de Provence, 25, 1996, p. 29‑41, en partic. I, 205, pl. 193.. Ces bains orientaux, apparemment indépendants des thermes mitoyens, communiquaient peut-être avec les bâtiments de la partie artisanale et agricole situés immédiatement à droite sur le plan. Léon Joulin y voyait un ensemble de salles chaudes L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 35., ce qui s’avère exact pour deux des pièces situées au sud de ce bâtiment, mais peu probable en ce qui concerne la salle principale. Celle-ci, d’une superficie excédant les 80 m², comprend un grand bassin en hémicycle, encadré par deux autres, plus réduits, de forme quadrangulaire. Il s’agit bien, en l’absence d’un quelconque système d’hypocauste, d’un espace froid A. Bouet, Les thermes privés et publics en Gaule narbonnaise (Collection de l’École française de Rome), Rome, 2003, II, p. 169.. Au centre, prenait place une pièce d’eau (labrum), octogonale, très peu profonde, qui rappelle un pédiluve. La fonction de ce bassin trouve des parallèles dans d’autres villae du Sud-Ouest, à partir de la fin du IIIe siècle. Sa forme octogonale est très répandue durant tout le IVe siècle, en contexte privé ou bien encore dans les lieux de culte chrétiens où elle est privilégiée lors de la conception des cuves baptismales A. Bouet, Les thermes privés et publics en Gaule narbonnaise (Collection de l’École française de Rome), Rome, 2003, II, p. 169-170.. Séparés des précédents, ces bains déterminent donc un dédoublement du complexe thermal, chronologiquement successif et en lien avec une phase de réaménagement des infrastructures de la demeure. Quant à préméditer du statut - population servile et main-d’œuvre libre -, comme du sexe, des personnes qui les fréquentaient quotidiennement, on peut se perdre en conjectures en l’absence d’une documentation archéologique précise.

À droite de ce dernier complexe thermal, et concluant l’ensemble résidentiel à l’est, un ensemble de bâtiments fut interprété par L. Joulin comme une « habitation complète » L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 37.. Les murs n’obéissent plus, ici, à l’axe adopté pour toutes les autres constructions de la villa, qui avaient probablement été conditionnées par l’alignement du premier mur d’enceinte méridional. Hypothétiquement détruit en raison des eaux du fleuve qui sapaient la rive, ce mur de clôture fut donc reconstruit. Ainsi, la différence d’axe de l’ensemble des murs, alliée aux maçonneries moins soignées qu’ailleurs dans la villa, ont incité L. Joulin à dater ce groupe de la phase la plus tardive. L’archéologue vit un salon (œcus) dans la grande salle, longue de quinze mètres et large de six, dont le mur méridional forme un hémicycle. La partie absidée sur hypocauste ainsi que la présence de marbre au niveau du seuil témoignent, encore une fois, d’un espace raffiné, propice aux réunions. Quant aux salles les plus méridionales de ce secteur, le mobilier archéologique qui y fut mis au jour permit à L. Joulin de les interpréter comme des cuisines L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris, 1901, p. 70..

En guise de conclusion, soulignons encore les deux évidences qui singularisent cette villa : son ampleur et la richesse de son décor. Plus de soixante ans après les premières prospections, engagées antérieurement à la naissance de la recherche archéologique proprement dite, le travail conduit par Léon Joulin, bercé de scientisme et de rationalité, fut essentiellement fondé sur une lecture, alors pionnière, du bâti et de son contexte. Ainsi aura-t-il notamment remarqué que nombre de parties découvertes ou fouillées une nouvelle fois par ses soins, avaient fait l’objet de restructurations et de modifications de plan. Rien que de plus normal pour une résidence ayant traversé les siècles. Si aucun texte ne mentionne le nom de ses différents propriétaires, Chiragan n’en représente pas moins une villa dont les dimensions, l’implantation et la qualité du décor, en particulier celui qui fut mis en place à partir de la fin du IIIe siècle, demeurent toujours en dehors des champs catégoriels connus pour l’ensemble des Gaules. L’implantation peut ainsi être comparée à des établissements de premier plan, élevés ou restructurés durant l’Antiquité tardive. En Gaule, la villa d’Orbe-Boscéaz (Suisse, canton de Vaud), pourrait s’en rapprocher, tout au moins concernant sa superficie, qui excédait les seize hectares. On songera également aux célèbres domaines « palatiaux » de Piazza Armerina (Sicile), Cercadilla (Cordoue) ou Mediana (Niš, Serbie).

La demeure des bords de Garonne est pourtant bien la seule à avoir livré une telle quantité de sculptures. Ce gisement marmoréen, le plus grand qui fut jamais extrait des décombres d’une villa sur l’ensemble des Gaules, s’inscrit dans une longue fourchette chronologique, comprise entre le Ier et le IVe siècle, et parfois même étendue au siècle suivant. Il semble bien, en effet, que l’Antiquité tardive ait été une période de production et de commercialisation de statuettes mythologiques aux formats adaptés pour les atria et les salles thermales de ces demeures tardivement réaménagées L.M. Stirling, The Learned Collector : Mythological Statuettes and Classical Taste in Late Antique Gaul, Ann Arbor, 2005, p. 51-53.. Ces figures venaient ainsi compléter le cortège des dieux, des héros et des nymphes qui composaient la collection des générations passées. Abaisser de la sorte la datation de toute une frange de la statuaire qui dépendraient d’un même « cercle artistique » (le « Kunstkreis » de M. Bergmann) M. Bergmann, Chiragan, Aphrodisias, Konstantinopel : zur mythologischen Skulptur der Spätantike (Palilia), Wiesbaden, 1999, p. 13. renforce l’impression de vitalité du domaine durant l’Antiquité tardive ; un dynamisme par ailleurs confirmé par une série de monnaies du IVe siècle mises au jour sur le site de la villa même comme dans son environnement immédiat, lors des fouilles du XIXe siècle V. Geneviève, « Les monnaies des établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane. 2 : Les monnaies des sites de Chiragan, Bordier, Sana, Coulieu, Saint-Cizy et du Tuc-de-Mourlan », Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, LXVIII, 2008, p. 95‑140, en partic. p. 98-99..

Pascal Capus

Pour citer cette partie

Capus P., « Chiragan », dans Les sculptures de la villa romaine de Chiragan, Toulouse, 2019, en ligne <https://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/partie-01>.

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