Partie 3 L’art grec revisité

Le vieux pêcheur

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Le vieux pêcheur
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Le vieux pêcheur
Date de création
IIIe-premier tiers du IVe siècle (?)
Matériau
Marbre de Göktepe (Turquie)
Dimensions
H. 52 x l. 27 x P. 16 (cm)
Numéro d’inventaire
Ra 46

La sculpture de l’époque hellénistique montra ostensiblement son intérêt pour les individus de basse condition, âgés et souffrants. Cette vérité sans concession fut particulièrement sensible entre le IIIe et le Ier siècle avant n. è. dans le monde grec. Cependant, la crudité de la vision portée sur ceux qui, de manière générale, demeurent invisibles, est tempérée par l’utilisation d’un matériau luxueux, réservé à un cercle restreint. Souffrance, humilité et activités de la rue contrastent donc étrangement avec les marbres les plus rares et les plus onéreux.

Plusieurs autres répliques du prototype du pêcheur sont aujourd’hui connues. La plus célèbre demeure la version du Louvre, dite « Sénèque mourant », provenant de l’ancienne collection Borghèse. Mais dans le cadre d’une statuaire de moyen format comparable à la statue de la villa de Chiragan, une œuvre en particulier, mise au jour à Aphrodisias (Turquie), offre de troublantes similitudes avec notre exemplaire. Quant à la réplique aujourd’hui conservée à l’Altes Museum de Berlin, remarquable par sa qualité et le poli de son marbre, la couleur blanche de ce dernier atténue l’effet de surprise et de fascination que procure la roche noire, à Chiragan comme à Aphrodisias N. Hannestad, Tradition in Late Antique Sculpture : Conservation, Modernization, Production (Acta Jutlandica. Humanities Series), Aarhus, 1994, p. 135, 138-39 ; M. Bergmann, Chiragan, Aphrodisias, Konstantinopel : zur mythologischen Skulptur der Spätantike (Palilia), Wiesbaden, 1999, p. 55..

Selon Léon Joulin, Du Mège aurait trouvé un bras tenant un fragment du filet. Ce document n’a pas été retrouvé parmi les centaines de vestiges relevant de la petite et moyenne statuaire de Chiragan. En revanche, un pied appuyé contre la base d’un arbre, lui aussi en marbre noir, est toujours conservé dans les réserves du musée et ses dimensions ne semblent pas contrarier l’appartenance à cette statue. Ce qu’il reste d’un support, à l’arrière du cou, permet de supposer qu’un tronc d’arbre devait être associé à la figure. Il s’agirait là d’une caractéristique de la petite et moyenne statuaire orientale tardive, bien représentée dans les ateliers d’Aphrodisias. Ce rapprochement avec les ateliers micrasiatiques, officiant durant l’Antiquité tardive, serait également à envisager si l’on prend en compte le fort contraste esthétique entre l’arrière de la sculpture, où les grandes masses, dont la colonne vertébrale particulièrement saillante, ont été dégrossies et non polies, et la partie antérieure de ce corps, où l’anatomie, dessinée mais relativement simplifiée, est caractérisée par le lustre accordé au matériau N. Hannestad, Tradition in Late Antique Sculpture : Conservation, Modernization, Production (Acta Jutlandica. Humanities Series), Aarhus, 1994, p. 135.. Les liens avec Aphrodisias et les ateliers orientaux sont par conséquent tout aussi convaincants que pour les médaillons des dieux ou encore les reliefs d’Hercule.

Connu par vingt-cinq répliques d’époque impériale, l’original, daté du IIIe siècle avant n. è., devait être un bronze dont l’aspect scintillant est rappelé par le marbre noir luisant. Le vieillard, seulement vêtu d’un pagne enroulé autour des reins, présentait de modestes objets aux dieux F. Queyrel, La sculpture hellénistique , Tome 1 : Formes, thèmes et fonctions (La sculpture grecque , 3; Les manuels d’art et d’archéologie antiques), Paris, 2016, p. 315.. La réplique du musée Saint-Raymond, réduite en taille, montre un drapé décalé, dont un pan tombe avec raideur et dissimule les parties génitales du personnage. Sur certaines autres répliques, le sexe du vieillard est exhibé, conformément au pathos en vogue à l’époque hellénistique : celle de Chiragan est par conséquent édulcorée, moins brutale, plus décorative. Par cette simple modification formelle, la sculpture prend donc un sens différent et s’adapte au lieu pour lequel elle a été commandée à un moment donné. Un même modèle iconographique grec peut ainsi subir une série d’évolutions qui transforme sa signification, au gré des différents ateliers.

P. Capus

Bibliographie

  • Baratte 2001 F. Baratte, « Exotisme et décor à Aphrodisias : la statue du jeune Noir de l’ancienne collection Gaudin », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 80, 1, p. 57‑80
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    p. 71
  • Bergmann 1999 M. Bergmann, Chiragan, Aphrodisias, Konstantinopel : zur mythologischen Skulptur der Spätantike (Palilia), Wiesbaden
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    p. 55
  • Cazes et al. 1999 D. Cazes, E. Ugaglia, V. Geneviève, L. Mouysset, J.-C. Arramond, Q. Cazes, Le Musée Saint-Raymond : musée des Antiques de Toulouse, Toulouse-Paris
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    p. 111
  • Clarac 1841 F. Clarac, Musée de sculpture antique et moderne ou Description historique et graphique du Louvre et de toutes ses parties : des statues, bustes, bas-reliefs et inscriptions du Musée royal des Antiques et des Tuileries, et de plus de 2500 statues antiques … tirées des principaux musées et des diverses collections de l’Europe… accompagnée d’une iconographie égyptienne, grecque et romaine…. Tome II, Paris
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    p. 586
  • Du Mège 1835 A. Du Mège, Description du musée des Antiques de Toulouse, Toulouse
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    no 133
  • Du Mège 1828 A. Du Mège, Notice des monumens antiques et des objets de sculpture moderne conservés dans le musée de Toulouse, Toulouse
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    no 149
  • Espérandieu 1908 É. Espérandieu, Recueil général des bas-reliefs de la Gaule romaine, 2. Aquitaine, Paris
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    p. 62, no 952
  • Hannestad 1994 N. Hannestad, Tradition in Late Antique Sculpture : Conservation, Modernization, Production (Acta Jutlandica. Humanities Series), Aarhus
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    p.135
  • Joulin 1901 L. Joulin, Les établissements gallo-romains de la plaine de Martres-Tolosane, Paris
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    fig. 200B, 212 E
  • Lebègue 1889 A. Lebègue, « Une école inédite de sculpture gallo-romaine », Revue des Pyrénées et de la France méridionale, p. 28
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    p. 10
  • Rachou 1912 H. Rachou, Catalogue des collections de sculpture et d’épigraphie du musée de Toulouse, Toulouse
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    no 46
  • Rey-Delqué 1975 M. Rey-Delqué, « Le « Vieux Pêcheur », réplique d’un type hellénistique : statue trouvée dans la villa de Chiragan à Martres-Tolosane et conservée au Musée Saint-Raymond de Toulouse », Pallas. Revue d’études antiques, 22, 4, p. 89‑95
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    p. 89 à 95
  • Roschach 1892 E. Roschach, Catalogue des musées archéologiques de la ville de Toulouse : Musée des Augustins, Musée Saint-Raymond, Toulouse
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    no 46
  • Slavazzi 1996 F. Slavazzi, Italia verius quam provincia : diffusione e funzioni delle copie di sculture greche nella Gallia Narbonensis (Aucnus), Naples
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    fig. 29

Pour citer cette notice

Capus P., "Le vieux pêcheur", dans Les sculptures de la villa romaine de Chiragan, Toulouse, 2019, en ligne <https://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/ark:/87276/a_ra_46>.