Partie 3 L’art grec revisité

Tête de Vénus

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Tête de Vénus
Tête de Vénus
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Tête de Vénus
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Tête de Vénus
Tête de Vénus
Tête de Vénus
Date de création
Ier-IIe siècle
Matériau
Marbre lychnites (île de Paros)
Dimensions
H. 40 x l. 24 x P. 31 (cm)
Numéro d’inventaire
Ra 52

Les fouilles de 1826 exhumèrent cette remarquable tête d’Aphrodite-Vénus. La limite inférieure s’arrête en haut du sternum, au niveau du manubrium, et comprend le départ de l’épaule gauche. Malgré le nettoyage, souvent trop radical, effectué au XIXe siècle, quelques concrétions calcaires subsistent sur le côté gauche, surtout dans la chevelure, conformément à ce qu’avait décrit le comte de Clarac, conservateur des Antiquités du Louvre, qui avait vu la tête peu après sa mise au jour F. Clarac, Musée de sculpture antique et moderne ou Description historique et graphique du Louvre et de toutes ses parties : des statues, bustes, bas-reliefs et inscriptions du Musée royal des Antiques et des Tuileries, et de plus de 2500 statues antiques … tirées des principaux musées et des diverses collections de l’Europe… accompagnée d’une iconographie égyptienne, grecque et romaine…. Tome II, Paris, 1841, p. 588.. La partie postérieure forme un renflement piqueté, caractéristique d’un bouchon d’encastrement qui permet de supposer l’insertion de la tête dans le corps d’une statue. Aucun fragment de celle-ci n’a pu, néanmoins, être identifié dans les réserves du musée, malgré la mention, par Alexandre Du Mège, de « portions de bras qui paraissent avoir fait partie de cette statue » A. Du Mège, Description du musée des Antiques de Toulouse, Toulouse, 1835, p. 79, no 140.. On peut également penser à un encastrement sur un buste voire une association de la tête à un hermès (pilier).

La renommée de l’œuvre fut telle qu’elle bénéficia d’une dénomination, « Vénus de Martres », qui la distinguait donc et témoignait du prestige qui lui avait été accordé. Le comte de Clarac, de son œil expert et avisé, en fit une Vénus « des plus belles qui existent, si même elle ne leur est pas supérieure », la comparant aux Vénus Médicis, Galerie des Offices Florence, Sailko / Wikimedia Commons CC BYVénus Médicis, Vénus d’Arles, musée du Louvre, Alain Darles / Wikimedia Commons CC BYd’Arles et Vénus de Milo, musée du Louvre, Kimberly Vardeman / Wikimedia Commons CC BYde Milo, références suprêmes en cette première moitié du XIXe siècle néo-classique. Exposée à Paris en 1867, elle fut attribuée au grec Praxitèle F. Pagès, « La Vénus de Martres », Revue archéologique du Midi de la France, 2, 1867, p. 50‑52. avant de devenir, plus raisonnablement, l’une des répliques de l’Aphrodite de Cnide, ville côtière de Carie (sud-ouest de l’actuelle Turquie). Si l’œuvre originale, créée vers 360 avant n. è., a disparu, elle fut amplement copiée. Sa réputation doit beaucoup au témoignage de Pline l’Ancien, qui écrit, au sujet du sculpteur : « Sa Vénus est à la tête, je ne dis pas seulement de toute sa production, mais de celle de tous les artistes du monde » Pline l’Ancien, Histoire naturelle, 77 (circa), XXXVI, 20.. Le même Pline rapporte que s’il avait été donné à Praxitèle la possibilité de privilégier l’une de ses œuvres, l’artiste aurait sans hésitation porté son choix sur celles qui avaient été peintes par Nicias. Ce dernier était effectivement passé maître dans l’application de couleurs sur le marbre poli des sculptures, en premier lieu celles de son confrère Praxitèle.

Les études comparatives qui ont porté sur les dizaines de répliques répertoriées de la statue, considérée comme l’un des sommets de la sculpture du deuxième classicisme grec, ont à la fois semé le doute sur l’aspect réel du chef-d’œuvre de Praxitèle et affiné l’appréciation de ses différentes copies ou variantes. Ainsi, informations descriptives, rapportées par quelques auteurs de l’Antiquité, et reproduction de la sculpture sur les monnaies de Cnide doivent-elles être comparées et évaluées en rapport avec toutes les répliques, d’époque hellénistique ou romaine, susceptibles de nous en donner une copie plus ou moins fidèle.

On sait que le corps nu de la déesse avait surpris, sinon choqué, dans un premier temps, à tel point que les gens de Cos, voisins et rivaux de ceux de Cnide, refusèrent la statue, dont ils avaient passé commande pour leur temple. Ils la cédèrent aux Cnidiens, peut-être plus audacieux, mais qui, surtout, semblent l’avoir substituée à une effigie cultuelle déjà nue, de tradition orientale, où dominait le concept de fécondité. Du reste, ce corps pétrifié était d’autant moins caché qu’il fut installé dans une chapelle largement ouverte, petit temple circulaire élevé dans une enceinte sacrée plantée de myrtes, de cyprès, de platanes et de vigne. De son bras droit, Aphrodite ramenait sa main en direction de son pubis, un geste qui fut interprété de pudeur, tel un être surpris dans son intimité, mais qui permettait, à la déesse de la fécondité, de désigner l’appareil génital reproducteur. La main gauche maintenait quant à elle une étoffe, au-dessus d’une hydrie en bronze. La présence de ce récipient indique sans ambiguïté la toilette d’Aphrodite, dont le buste, légèrement penché, se reflétait peut-être dans une vasque. La composition, qui dépassait une simple scène de genre montrant Aphrodite surprise au bain, renvoyait probablement au caractère rituel des ablutions.

Une part du mystère de ce visage, de ce corps et de cette attitude imprègne encore les plus belles répliques parvenues jusqu’à nous. La tête de Martres, projetée vers l’avant, vient nous rappeler la douce inclinaison de la Vénus cnidienne. Son haut chignon dégage la gracieuse ligne arrière d’un cou que poursuivait la rondeur du dos. De longues mèches ondulées sont divisées par une raie médiane et maintenues par une double bandelette lisse qui entoure le crâne. Cette bandelette fait-elle allusion au kestos himas (« ceinture enroulée »), brodé, d’Aphrodite ? Ce cestus veneris rendait la déesse irrésistible et objet de l’amour de quiconque s’en approchait. Les traits du visage sont réguliers hormis la légère dissymétrie des yeux. Mais au contraire de la froideur de certaines répliques, à l’exemple de la Tête Borghèse, musée du Louvre, Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons CC BYtête Borghèse du Louvre ou de la Vénus Colonna, musées du Vatican, Wikimedia Commons Public DomainVénus Colonna du Vatican, pourtant jugées par la plupart des historiens de l’art plus proches du travail de Praxitèle, les traits de la Vénus de Martres ou ceux de la Tête Kaufmann, musée du Louvre, Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons CC BYtête Kaufmann du Louvre, paraissent moins froids et plus subtilement estompés. Un épiderme animé et des lèvres charnues la rendent plus sensuelle. Elle paraît plus humaine, mais ne l’est point tout à fait : le sacré est toujours présent, même si l’expression distante glisse vers la rêverie et la tendresse.

Si la tête Kaufmann, découverte à Tralles, en Turquie, datée du IIe siècle avant n. è., pourrait être considérée comme une réinterprétation de l’époque hellénistique A. Pasquier, La Vénus de Milo et les Aphrodites du Louvre (Albums), Paris, 1985, p. 58-59., la Vénus de Martres ne peut être datée avec autant de précision. Son marbre, analysé en 2011, est bien grec ; il provient de Paros. On ne saurait en faire un argument pour dater l’œuvre, les marbres de l’île égéenne ayant été employés, encore, tout au long du Haut-Empire romain. Tout au plus pourrait-on avancer une datation avant la seconde moitié du IIe siècle de n. è.. Le milieu du Ier siècle de n. è. et l’attribution à un atelier oriental ont, en l’occurrence, été proposés F. Slavazzi, Italia verius quam provincia : diffusione e funzioni delle copie di sculture greche nella Gallia Narbonensis (Aucnus), Naples, 1996, p. 186-187.. On sait combien, en effet, les grands classiques de l’art grec connurent, durant les deux premiers siècles de n. è., un nouvel engouement dans le milieu impérial comme dans quelques luxueux domaines, italiens ou provinciaux. Chiragan ne dérogea apparemment pas à cette mode ; en témoignent notamment les tableautins de marbre, connexes au courant artistique dit néo-attique, les deux figures d’Athéna mais également toute une série de petits formats qui sont autant de répliques, ou bien de variantes, d’originaux grecs.

P. Capus

Bibliographie

  • Bassal 1996 A. Bassal, « Vénus de Martres », Revue de Comminges et des Pyrénées Centrales, 111, 3
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  • Du Mège 1835 A. Du Mège, Description du musée des Antiques de Toulouse, Toulouse
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    p. 41-45 et fig. 28

Pour citer cette notice

Capus P., "Tête de Vénus", dans Les sculptures de la villa romaine de Chiragan, Toulouse, 2019, en ligne <https://villachiragan.saintraymond.toulouse.fr/ark:/87276/a_ra_52>.